Philippe Robert, comédien-chanteur, metteur en scène et dessinateur, a suivi une formation de comédien au Conservatoire d'Art Dramatique de Rennes, obtenu une maîtrise d'Arts Plastiques à l’Université de Haute Bretagne et se produit en France et à l'étranger (Centrafrique, R.D.du Congo, Japon, Chine, Haïti, Maroc...).
Il est aussi comédien de doublage (Cinéma, télévision, longs-métrages, séries, voice-over) et nous conduit dans les arcanes de la post-synchronisation.
Où quand la parole apprend du regard...
Q : Par quels enchaînements avez-vous ajouté le doublage aux différentes facettes de votre métier de comédien?
R : Je vais commencer par une anecdote. Lorsque j'étais jeune adolescent, j'avais une cousine qui disposait d’un magnétophone à cassette et d'un projecteur à manivelle pour enfants avec un film muet (Titi et Grosminet). Spontanément, l'envie m'est venue de sonoriser son film pour le rendre plus vivant en imaginant et interprétant moi-même les différents personnages. Première histoire de doublage de ma vie, et début d'un grand intérêt pour ce métier. Plus tard, comédien au conservatoire et avec une élève qui enregistrait des publicités radiophoniques, je me suis habitué à caler les textes dans les divers «berceaux musicaux», avec leurs changements de rythme de jeu.
Pour se professionnaliser, habituellement les comédiens assistent à des séances de doublage, c'est le terme professionnel, ce qui consiste à être présent pour seulement observer les professionnels en action. Selon le temps disponible le directeur artistique (DA parfois appelé Directeur de Plateau), peut proposer à des postulants de faire un essai. Il faut attendre que l'occasion se présente pour participer à ces essais, évaluer ses facilités et montrer aux DA ses prédispositions. Beaucoup restent observateurs, sans avoir malheureusement l'occasion de s'approcher du micro.
Par l'intermédiaire d'une amie comédienne, j'ai appris qu'un studio projetait de s'implanter à Rennes. J'ai aussitôt envoyé un mail de candidature et ai fait partie des premiers comédiens, qui après un stage de formation au doublage, ont enregistré pour ce studio. Stage d'initiation d'une semaine en groupe (4 femmes, 4 hommes) pour les techniques spécifiques de base. 5 ans plus tard, j'ai suivi un stage de perfectionnement axé essentiellement sur l'interprétation propre au doublage avec quelques apports techniques.
Puis, j'ai eu l’occasion dans un studio parisien d’assister avec d’autres, à une séance en vue de passer un essai. Longue matinée d'attente pendant laquelle, assis au fond du studio, je m'entraînais pour le cas où. L'enregistrement terminé, le D.A. a constaté qu'il disposait de temps pour faire des essais. Il m'a attribué une « boucle » (la séquence à enregistrer) (série Scrubs dans laquelle les personnages parlent comme des mitraillettes) que j'ai regardée une, puis deux fois avant d'enregistrer. Le DA a paru satisfait, m'a demandé mon CV, bon signe, et m'a proposé de refaire la prise de façon plus détendue. Il m'a appelé depuis à plusieurs occasions.
Depuis 2012, j’ai participé au doublage de soixante-dix films, séries télés, dessins animés dont récemment, Dimitri, production rennaise (dans laquelle je joue une autruche, plutôt exubérante, et un flamant rose plus Comédie Française) et des voice-over (doublage superposé à la voix entendue).
Q : L'activité de doublage pour les versions françaises est-elle exclusivement parisienne ?
R : On y trouve évidemment toutes les grosses et petites structures de doublage. Une concurrence importante se situe en Belgique et à Barcelone où les DA et les comédiens se rendent pour enregistrer. Et Rennes avec un studio qui fait travailler les artistes bretons et a réussi à faire sa place dans le milieu.
Q : Comment adapte-t-on son jeu à celui du personnage que l'on double ?
R : Il s'agit de se fondre dans le jeu du comédien qui joue le personnage, de transposer ces variations d’émotion avec densité, mais en restant «très quotidien» ( à la différence du jeu théâtral qui accepte la stylisation, la déclamation...).
On se base sur l’observation du jeu du comédien, et essentiellement son regard qui indique ses émotions et son énergie.
Après l’observation, l’écoute et la lecture du texte de la boucle, il faut s’approprier, adapter et «franciser» les intonations. Les musiques sont différentes selon les langues, il ne faut pas copier la musique originale, mais garder l'intention en l'adaptant. Si le temps le permet, le comédien peut parfois de lui-même proposer une autre version de jeu.
Le doubleur doit trouver sa liberté d'interprétation dans le tempo et le jeu donné par le comédien. Il faut aussi coller au plus près à ses mouvements qui modifie sa respiration.
Plus on pratique, plus on se lâche ; l'aisance est plus grande et la qualité s'améliore. Le plus difficile est de trouver immédiatement la souplesse pour alterner la lecture en place des mots ( la synchronisation) et l’observation des variations de jeu du personnage, contrairement au théâtre où on répète pour essayer différentes options.
Q : Ecoute-t-on systématiquement la version originale?
R : Deux possibilités, sachant, ce qui peut surprendre, que le doubleur n'a presque jamais l’occasion de voir le film avant de venir enregistrer.
Soit on écoute la boucle, une ou plus rarement deux fois ; le moins possible pour une question de rapidité et donc de coût. On repère et mémorise les situations, la gestuelle, et le regard du comédien qui va nous donner les émotions par lesquelles il passe. Si il est très loin dans l’image, il faut aller le chercher, si il est en gros plan, tout va bien pour l’appréhender. Quand on débute, on a parfois des petits rôles, plutôt à l'arrière plan, et on peut avoir plus de mal à suivre son personnage. On se fait une impression de l’ensemble de la boucle avec ses étapes de jeu puis on enregistre si possible en une prise, si on a bien mémorisé le rythme et le jeu.
Deuxième possibilité, on enregistre «à la volée», c’est à dire directement sans prévisualisation et on lit la bande rythmo (dialogues synchronisés à l'action, défilant sur l'écran) en suivant le jeu au fur et à mesure du déroulement du texte. On a « l’œil qui remonte à l'image » le plus souvent possible, pour vérifier ce qui se passe, ce qui bouge. On suit avec spontanéité et intuition l'action, ce qui est pour moi très grisant, car on retrouve le plaisir de l'improvisation. Bien sûr, on refait ensuite les phrases ratées ou aux nuances insuffisantes.
Quand on fait une série ou un long métrage avec un rôle important, on a plus le temps d’intégrer le personnage.
Et quand les délais sont très serrés, on ne réécoute même pas. C'est le cas de la série que j'enregistre en ce moment. Le DA contrôle le jeu et valide en direct. Si besoin, on refait une partie de la boucle, mais l'objectif est d’essayer de dérouler le texte en une prise.
Q : Quand vous travaillez « à la volée », comment se passe la synchronisation? Au premier jet, avec reprise pour ajuster ou par une étape de recalage technique à posteriori ?
R : Les trois sont possibles ! Le contrôle de la précision de la synchro incombe au DA et/ou à l'Opérateur de Prise de Son (l'OPS) qui, avec l'habitude, saura s'il a la place pour recaler la phrase et faire coïncider les débuts et fins.
Préalablement au doublage, un détecteur a placé sur la bande rythmo (ce que va lire l’acteur), les signes phonétiques que va devoir respecter l'adaptateur, pour faire coïncider le texte du traducteur aux mouvements des lèvres du personnage. Les labiales sont les plus repérables.
Cette bande rythmo donne donc toutes les indications : Les espaces donnent le rythme et suggèrent la réflexion du personnage, le point sépare les idées mais pas le rythme, la taille des lettres indique la vitesse d'élocution, etc. Parfois, les indications sont insuffisantes et il faut corriger, compléter.
Il arrive qu'un comédien suffisamment agile, après visionnage de la boucle transforme un peu la traduction proposée et aide à une meilleure synchronisation ou propose une formulation plus naturelle. Il s'agit de mieux faire comprendre le propos, comme un travail de co-auteur.
La suite de cet entretien est à lire ici.
AudioNetMagazine