Voilà, les prises sont terminées, sélectionnées, nettoyées, montées, le mixage peut commencer, l'achèvement du projet émerger.
Pas de difficultés majeures en vue. Au programme, suppression des fréquences parasites, pistes par pistes, ajustement de la balance de volumes, compression de ci de là avec des presets de plug-in, toujours parfaitement adaptés, le chant, la réverbération et voici un master, prêt à diffuser.
En théorie...
Sauf que de cette manière, le résultat fera sans doute pâle figure face à une simple mise à plat.
Et pourquoi ?
Si, avant de décider du placement des meubles, on réfléchissait au plan d'ensemble de la construction : orientation, nombre de pièces, distribution, allure générale souhaitée... Budget et délai en prime.
Démarche comparable pour un projet sonore, musical ou audio-visuel : le mixage débute avant l'enregistrement, par la résolution de nombreuses questions, à tout le moins leur énonciation.
En musique, l'audio-visuel sera traité à part, le mixage procède de choix parmi le matériau disponible. La richesse du second dessine celle du premier. D'où l'importance de la vision globale du projet dès son origine.
A l'écoute attentive d'un titre, celui en tête de notre play-list personnelle par exemple, essayons de comprendre la construction d'ensemble et les procédés utilisés pour, au hasard, traiter le chant : voix simple, doublage, délai et/ou écho, harmonies, contrechant, choeurs, organisation des timbres, intelligibilité, dynamique, espace sonore, place laissée par la partie instrumentale, structure du morceau...
Ces quelques approches, parmi d'autres, fonctionnent évidemment quel que soit l'instrument considéré. Et une source ne peut être analysée isolément de l'ensemble. Sauf pour une sonate, et encore, les interactions sont le liant indispensable à l'équilibre et à l'attrait du résultat final.
D'où la nécessaire approche globale et le plus en amont possible du projet.
Et gare au piège d'une trop grande utilisation de la fonction « solo ». Vous écoutez une chanson instrument par instrument, vous ?
Les musiciens qui ont composé, arrangé, corrigé, répété un répertoire peuvent parfois manquer de recul pour apprécier objectivement les points forts et les éventuelles fragilités de leur travail. Le réalisateur artistique aura cette distance avec, autre atout, une absence de lien affectif lequel biaise souvent l'analyse.
De plus, ce réalisateur anticipera l'impact d'un enregistrement forcément distinct de son interprétation en public. Là ou la relation physique entre artistes et public enrichit la musique, l'enregistrement doit compenser l'absence des interprètes par sa grammaire propre.
La pré-production sera intégrée à la réalisation, un moment de questions et de choix. Ces derniers pourront être réévalués ou remis en cause pendant le cheminement du travail.
Réfléchir pour créer la forme enregistrée amène aussi à sa poser la question des codes artistiques en place. Respect académique, dynamitage gratuit ? L'évolution, parfois radicale, à partir de racines admises participe d'une vie artistique en mouvement.
Une large culture musicale, et artistique tant qu'à faire, fournira la base à une expression personnelle dans la recherche d'un équilibre. L'écoute analytique de concerts ou d'enregistrements de toutes natures conduira à élaborer sa propre signature sonore, par le choix des équipes et des environnements techniques, les aspects plus opérationnels de mélanges de timbres, travail sur la structure, traitements sonores appliqués, spatialisation...
Même inspirés par d'autres productions, les musiciens et les réalisateurs talentueux produiront un résultat immédiatement identifiable, sans confusion possible. On peut faire un parallèle avec l'identité sonore des stations de radios : un même titre écouté sur l'une ou l'autre sonnera différemment, et une oreille attentive en reconnaitra les couleurs spécifiques.
Mais, attention : la connaissance ne conduit pas à la copie. Quel intérêt à refaire ce qui existe déjà ? Une approche personnelle, nourrie d'un bagage musical bien compris dont aura pris soin de se distinguer, permettra de construire sa marque.
On passe alors du statut de technicien talentueux mais interchangeable à celui de réalisateur (« producer » chez les anglo-saxons) recherché pour sa personnalité et qui en fera bénéficier ses productions. Réalisateur qui veillera, en permanence, à affiner et enrichir sa pratique pour l'adapter à chaque nouveau projet.
La création « ex nihilo » est un exercice difficile comme est mince la frontière entre recettes éprouvées et celles usées à la corde. Une vision affirmée jointe à une habileté dans le dosage feront la différence.
Mixage signifie également méthode de travail. Transversalité pourrait en être le mot d'ordre.
On l'a tous fait car on a cru entendre qu'il en était ainsi : on mixe la partie instrumentale en premier pour tout ajuster avec précision et, ensuite, on ajoute la voix. Résultat, la place manque, le spectre medium est déjà très riche et la voix se retrouve soit submergée soit sur-mixée mais pas intégrée.
On peut effectivement commencer par le playback mais en préservant l'espace pour la voix. Et puis si la voix est l'élément central de la chanson, pourquoi ne pas la considérer dès le départ. Les instruments trouveront leur place autour.
Cet exemple illustre la complémentarité des sources et les incidences multiples de toute intervention.
Plutôt que dérouler une check-list, ne rien oublier mais atteindre un résultat dans lequel les sons ne tiennent pas pleinement compte les uns des autres, travaillons dès le départ avec toutes les sources présentes pour avancer par touches successives ET évaluation immédiate du résultat dans sa globalité.
L'égalisation d'une source amène à reconsidérer son niveau qui modifie son rapport à la source voisine dont la correction, dynamique, balance de tonalité, volume ou autre, va interférer avec une troisième qui elle même, etc...
Comparez l'album des Sex Pistols (Nervermind the bollocks, here's the Sex Pistols, 1977, produit par Chris Thomas) à la version enregistrée antérieurement par le même line-up, à l'exception du bassiste originel et vrai musicien du groupe, Glen Matlock, remplacé par Sid Vicious pour la plus grande joie des journalistes et des amateurs de scandales.
Cette première réalisation supervisée par Dave Goodman, disponible notamment sur le label « Essential Records », comporte à un titre près la même track-list que l'album officiel qui, lui, sera enregistré quelques mois plus tard.
Musiciens et répertoires quasi identiques, mais réalisateurs, ingénieurs du son, et studios différents.
Et deux impacts artistiques nettement distincts pour un groupe qui a eu une influence salutaire sur le rock et au delà.
Rendez-vous en régie de mixage pour la suite...
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